Hausse de salaire refusée ? Votre boss doit se justifier.

Ne vous réjouissez pas trop vite

 

Dans un arrêt rendu le 6 mai dernier, la Cour de cassation a contraint les employeurs à fournir des justifications objectives à leurs salariés, concernant la hausse ou non de leurs salaires.

C'est une très bonne nouvelle. Mais il ne faut pas se réjouir trop vite.

 

Vous n'avez pas été augmenté et vous trouvez ça injustifié ? Allez aux prud'hommes ! La Cour de cassation oblige désormais les entreprises à expliquer à ses salariés la hausse (ou la non-hausse donc) de leur rémunération. Dans un arrêt du 6 mai,  les juges ont en effet ordonné que l’employeur doit être à même de justifier ses choix, et ce par des éléments objectifs.

Que va changer cette décision ? La Cour de cassation, plus haute juridiction judiciaire et dernier recours dans un procès (hors tribunal administratif), s'exprimait le 6 mai sur le dossier du cadre d’une entreprise médicale qui n’avait pas été augmenté, alors que ses collègues si. Les juges ont estimé que la justification de l'employeur était insuffisante, dans une décision qui fera office de jurisprudence, de référence pour les procès futurs aux prud'hommes.

Concrètement, la Cour de cassation dit qu'un employeur a le droit de ne pas augmenter tous ses salariés de la même manière. Mais il doit pouvoir justifier ses choix en s'appuyant sur des éléments vérifiables. Sinon, les juges considéreront qu'il y a rupture de l'égalité de traitement. Et le salarié qui se sentira discriminé pourra réclamer réparation en justice. En se basant sur l'arrêt du 6 mai, les juges pourront dire à l'entreprise : prouvez-nous que ce n'est pas à la tête du client.

 

À travail égal, (presque) salaire égal

Cette décision s'inscrit dans le cadre du principe d'égalité de traitement des salariés en matière de salaire (concrètement : "à travail égal, salaire égal). Seulement, en droit, les principes peuvent être sujets à exception – ce qui explique qu'il existe parfois des différences de traitement.

 

Ce qui change pourtant, et c'est toute la solennité de cette décision, c'est que l'employeur devra désormais être en mesure de justifier cette discrimination de manière objective, c'est à dire sur un fondement matériellement vérifiable. 

Comment justifier une augmentation ? La difficulté pour les DRH est alors de communiquer ces éléments objectifs. Quand ce sont des éléments quantifiables, des résultats commerciaux par exemple, il n'y a pas de problème. Mais il peut y avoir des situations plus subtiles : la capacité d'un cadre à motiver ses équipes par exemple, où la volonté d'augmenter un jeune à fort potentiel pour le conserver dans l'entreprise.

Dans cette affaire, pour justifier la non-augmentation du salaire de son cadre (initialement prévue par un accord collectif), l'entreprise a expliqué que son service "a été moins performant" que les autres. Un élément de justification que la Cour de cassation a jugé subjectif et donc insuffisant.

 

Une jurisprudence difficilement applicable



En théorie, il ne sera donc plus possible de justifier une non-augmentation par "un manque de courage" ou encore "un mauvais management". Seuls les faits compteront : une hausse ou une baisse du chiffre d'affaires par exemple.

Ce type d'affaires peut-il se multiplier ? Jusqu'à présent, il était très rare de voir un salarié traîner son employeur devant les prud'hommes pour une "non augmentation". Il risquait de se faire plutôt mal voir dans l'entreprise. Mais selon certains spécialistes, ce type de contentieux pourrait se développer.

Pour deux raisons : d'abord parce que les budgets d'augmentation sont beaucoup plus faibles aujourd'hui et obligent les directions d'entreprises à être plus sélectives dans leurs choix, ce qui augmente mécaniquement le risque de salariés frustrés. Ensuite parce que les entreprises choisissent de plus en plus, aujourd'hui, les augmentations individuelles aux collectives. Et qui dit augmentations individuelles, dit comparaison des salariés entre eux. Et donc obligation d'être très juste et très objectif dans ses choix. 

Pour le syndicat Sud Assurance la question qui se pose désormais, c'est celle de l'applicabilité de cette nouvelle jurisprudence au sein des entreprises. On imagine en effet très bien des situations dans lesquelles des salariés n'oseront pas demander de justification satisfaisante, de peur d'enraciner davantage un conflit pré-existant. C'est là tout le problème du droit du travail français qui est résumé. 

 

Des difficultés d'accès à la justice

 

Le droit du travail ne prévoit pas de contrôle des entreprises à priori, mais seulement a posteriori... et par un juge. Ce qui veut dire qu'il faut nécessairement qu'un contentieux ait été porté devant la justice pour qu'une vérification soit opérée. Nombreux sont les salariés qui n'osent pas ou ne peuvent pas saisir les Prud'hommes : pour des motifs aussi bien financiers que relatifs à de l'intimidation. 

 

C'est donc bien un arrêt formidable qu'a rendu la Cour de cassation, mais il est d'ores et déjà certain que l'immense majorité des salariés éventuellement concernés auront beaucoup de mal à profiter de cette jurisprudence. Les salariés des petites et grandes entreprises ne sont pas égaux là non plus.

 

Dans les grandes entreprises, les relations entretenues par le salarié avec les ressources humaines sont souvent intermédiées : entendez par là qu'il y a des interlocuteurs supplémentaires entre le salarié et le service des RH, comme les syndicats. Ce qui n'est pas forcément le cas dans les plus petites entreprises, dans lesquelles l'employeur exerce souvent lui-même cette responsabilité. 

 

Attention à ne pas privatiser davantage la justice

 

Depuis quelques années, on enrichit le Code du travail de textes qui sont très importants, et pour notre syndicat Sud Assurance c'est une bonne chose. Le problème est alors politique. Les moyens accordés à la Justice ne cessent de baisser, du coup, les gouvernements font en sorte de favoriser la conciliation à l'intérieur des entreprises pour éviter d'avoir à payer les personnels.

On assiste à une privatisation de la justice qui instaure de nouvelles inégalités entre tous les salariés. Nombreux sont ceux qui n'ont pas les moyens, les réseaux ni la force d'affronter des structures qui parfois les dépassent. 
 

La réponse syndicale

 

Pour Sud Assurance, l'arrêt de la cour de cassation va donc obliger les employeurs à s'interroger sur quels critères objectifs sont calculées les augmentations individuelles et à expliquer sur quoi ils sont fondés.

Cette décision de la Cour de cassation soulève deux principales interrogations. Pour être transparentes, les décisions d'augmentation individuelle doivent pouvoir reposer sur des éléments chiffrés (par exemple, le chiffre d'affaires, la marge, l'augmentation de la productivité, la progression du bénéfice, etc.). Cet élément objectif chiffré doit-il être appliqué de la même façon à tous les salariés ou doit-il varier au sein d'une même catégorie professionnelle ?

Deuxième question posée, celle de l’objectivité des critères d'évaluation annuelle.

Pour le syndicat Sud Assurance, en plus des négociations salariales annuelles obligatoires, les DRH devront négocier sur les enveloppes des augmentations individuelles, les éléments objectifs d'évaluation, surtout si la grille d'évaluation repose à la fois sur des critères objectifs tels que l'animation d'une équipe, la qualité du travail, la prise d'initiative et sur des facteurs subjectifs tel que le courage  et sur les critères d'attributions des augmentations.

Cette décision va plus loin que le principe d'égalité de traitement que l'on peut résumer par «A travail égal, salaire égal ». Elle introduit la notion d’« à qualité de travail égale, augmentation de salaire égale ».

Se syndiquer c'est déjà agir.



 

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Le 31 mai 2015
 



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