Rapport Combrexelle : un progrès ?

 

Rendu public le 9 septembre, le rapport de la mission Combrexelle, chargée d’élaborer des propositions pour élargir la place de la négociation collective dans le droit du travail, est bien la bombe attendue. Suivant les vœux de Manuel Valls, les 44 préconisations ainsi que l’agenda de réformes contenus dans le document dessinent une évolution profonde des relations sociales.

L’enjeu ? Déterminer ce qui doit relever de la loi, des accords de branche et des accords d’entreprise, et comment articuler ces éléments les uns par rapport aux autres. Avec la crainte que le droit du travail, applicable à toutes et tous, en sorte affaibli au profit de règlementations « à la carte » en fonction des secteurs économiques et des entreprises, et du rapport de force qui y prévaudra dans un contexte de chômage de masse.

Vers un Code du travail réduit à peu de chagrin

« Le plus grave, c’est l’inégalité instaurée entre les salariés selon les entreprises et les branches. Sous la pression de l’emploi, on leur demandera de réduire les salaires et d’augmenter le temps de travail » , pointe ainsi Éric Beynel, de l’Union syndicale Solidaires. Comme redouté, le texte préconise un recentrage de la définition des règles de travail au niveau des entreprises, affaiblissant les protections jusqu’ici définies pour tous les salariés par le Code du travail. Suivant le rapport, qui tend à inverser la hiérarchie des normes sociales, les accords d’entreprise seraient désormais bordés par un « ordre public conventionnel » au niveau des branches – qui regroupent les entreprises d’un même secteur, comme le BTP, la métallurgie, les services à domicile... – dont le nombre serait drastiquement réduit.

Ces accords de branche devront fixer les règles « impératives », les champs ouverts à la négociation et les règles qui devront s’appliquer en cas d’absence d’accord. C’est donc le deuxième point qui déterminera l’étendue des règles – horaires, niveaux de salaires, indemnités de licenciements, prise en compte de la pénibilité... – renvoyées à la négociation d’entreprise. Au dessus des branches, le Code du travail serait réorganisé sur un schéma identique. Dans cette optique, Jean-Denis Combrexelle avance un calendrier de travail, visant une réécriture complète du Code d’ici l’année 2020. Celui-ci serait structuré autour d’un socle de règles essentielles, et probablement minimales. Pour couronner l’édifice, le haut fonctionnaire propose d’inscrire les grands principes de la négociation collective au cœur du Préambule de la Constitution.

Un projet de loi début 2016

Mais le gouvernement veut aller vite. La réforme se fera donc en deux temps. Étape préalable à la réécriture, une concertation entre le ministère du Travail et les partenaires sociaux doit s’ouvrir dès maintenant. Objectif : élaborer un projet de loi qui devrait être déposé début 2016, pour une adoption avant l’été. Sans attendre, il s’agit d’élargir le champ de la négociation dans quatre domaines prioritaires : les conditions et le temps de travail, l’emploi, et les salaires. Les accords négociés au niveau des branches et des entreprises seraient baptisés accords « ACTES ».

Malgré le rejet instantané par le Premier ministre de certaines des propositions les plus décapantes du texte – comme le renvoi à la négociation du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, ce qui reviendrait à supprimer purement et simplement la durée légale du travail – les organisations syndicales y voient une confirmation des intentions prêtées à la mission Combrexelle, dès sa mise sur pieds au printemps.

Il n'y a pas qu'aux 35 heures que le rapport Combrexelle, remis à Manuel Valls, s'attaque. D'autres propositions décapantes figurent dans ce document.


Des heures sup à la carte pour les patrons

C'est sans doute la proposition la plus concrète du rapport. Et la plus explosive... Plutôt que de réclamer officiellement le grand soir de la durée légale des 35 heures, un «tabou» auquel François Hollande a répété ne pas vouloir toucher, le rapport Combrexelle préconise de relancer la mécanique des heures sup dans les entreprises. «Toutes les potentialités de la loi n'ont pas été utilisées» écrit Jean-Denis Combrexelle rappelant que si «le seuil des 35 heures est posé par le code du travail» la négociation dans les branches et dans l'entreprise est possible pour «la définition du taux de majoration des heures supplémentaires».

Seule contrainte posée par le code du travail : fixer un taux minimal de rémunération des heures supplémentaires à 10 % en cas d'accord de branche et 25 % en l'absence d'accord. « Une fois que les garanties ont été posées, nous pouvons ouvrir des négociations pour adapter » a annoncé François Hollande.

Que propose donc le rapport ?

Que les accords de branche et surtout d'entreprises puissent modifier le seuil de déclenchement des «?heures sup?». Il faut lire la phrase en entier, page 98 de ce document : «?La question posée serait de savoir s’il ne conviendrait pas d’aller au-delà et d’ouvrir la négociation, dans un cadre défini par la loi, sur le seuil de déclenchement lui-même?». En clair, les entreprises ayant négocié un accord interne pourraient repousser le seuil des heures sup, aujourd’hui fixé à la 36e heure à ... 37, 38, 39 ou au-delà. Ce qui reviendrait à faire sauter le verrou des 35 heures, mais à la carte.
Déjà, depuis les lois Aubry des 35 heures et surtout depuis la loi Bertrand de 2008, il est possible de déroger à ce seuil en recourant à des mécanismes comme les forfaits jours, l’annualisation du temps de travail, une compensation sous forme de RTT... En revanche, en cas d'organisation « classique » (comme dans les commerces, l'alimentation, les restaurants... et beaucoup de PME) rien ne permet actuellement de déroger à la bonification pécuniaire (d'au moins 10%) des « heures sup ». C'est ça que le rapport veut déverrouiller.

Des accords sociaux à durée déterminée de quatre ans

Fini les accords à durée illimitée à la française. Voilà une autre mesure choc suggérée par le rapport Combrexelle (proposition 36), en apparence anodine. « Il appartiendrait à la loi de prévoir que tout accord collectif est un accord à durée déterminée, et que sauf mention explicite contraire de l'accord, cette durée ne puisse excéder quatre ans sans qu'il soit possible de contourner cette contrainte. »

Aujourd'hui, nombre d'accords sociaux signés dans les entreprises, par exemple sur le temps de travail, l'égalité des salaires, les seniors... n'ont en effet pas de date limite. Or « cela contraint les acteurs à des renégociations sur des sujets parfois sensibles », observe Jean-Denis Combrexelle. Et de suggérer de donner une date de péremption, comme le font certains de nos voisins. Ceci pour mettre officiellement de l'huile dans les rouages du dialogue social. Coller aussi au plus près des réalités économiques des entreprises en perpétuels mouvements. En clair, plus rien ne serait figé dans le marbre passés quatre ans.

Des indemnités de licenciement moins généreuses

Priorité au maintien de l'emploi, voilà le leitmotiv de la proposition 42. Actuellement, un employeur peut, dans le cadre des accords dits de maintien de l'emploi, exiger unilatéralement de ses salariés de travailler plus pour gagner moins. Si le salarié refuse, il est licencié mais avec les mêmes droits dont bénéficient les licenciés économiques (indemnités plus élevées, reclassement, formation).

Une protection que le rapport juge inadaptée « du fait que cet accord a pour seul objet de préserver l'emploi ». Et de proposer que les indemnités de licenciement soient revues à la baisse dans le cadre d'un accord de maintien de l'emploi.

Le secteur du numérique, laboratoire à idées du social

Lâcher la bride aux entreprises dans le numérique... c'est l'objet de la proposition 27. « Il pourrait être donné aux chefs d'entreprises en pointe dans l'économie digitale la responsabilité, avec leurs salariés et syndicats, d'innover et d'inventer, à titre expérimental et dérogatoire, de nouveaux modes de relations sociales », écrit le rapporteur. En clair, faire de cette nouvelle économie un laboratoire en matière de rémunération, durée du travail, organisation, travail de nuit, représentation syndicale... « conciliant les évolutions économiques et technologiques et d'autre part le progrès social et la négociation collective. »

A cette limite près, précise Jean-Denis Combrexelle : « Il ne s'agirait pas de créer une zone de non-droit. » Il n'empêche que le champ des possibilités serait très large.

Mobilisation unitaire et contre-expertise

« Quand on entend ces petites phrases sur la possibilité d’un SMIC de branche ou d’une suppression de la durée légale, on peut se demander ce qui sera conservé dans les dispositions impératives, relève Julien Boeldieu, de la CGT Travail, emploi et formation professionnelle (CGT-TEFP) C’est la fin du principe de faveur. »

Dénonçant « une politique qui remet en cause notre modèle social assis sur l’égalité, la justice et la solidarité », Solidaires, la FSU et la CGT appellent à une journée de mobilisation unitaire le jeudi 8 octobre prochain. Le syndicat FO a quant à lui déjà publié un contre-rapport de spécialistes de la question, intitulé « Regards et réflexions pluridisciplinaires sur la négociation collective ».

« Le procédé consistant à enchaîner les réformes sans même avoir évalué les impacts des précédentes et à s’appuyer sur un énième rapport pour en mettre en œuvre d’autres dont l’objectif et les principes semblent déjà décidés, lasse. Force est de constater que libéralisme économique et autoritarisme social vont souvent de pair », constate en ouverture Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO.


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Le 20 septembre 2015
 



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